samedi 23 novembre 2013

Mozarabe et mudéjar






L'Alcazar de Séville, témoignage du mudéjar


Il y a des noms et adjectifs qui sont propres à l'expérience ibérique. Tels sont les termes "mozarabe" et "mudéjar".


Mozarabe désigne un chrétien hispanique arabisé. A l'arrivée des musulmans au VIIIème siècle, les chrétiens étaient majoritaires dans la Péninsule. La domination arabe les a progressivement obligé à apprendre l'arabe et à s'exprimer dans cette langue dans la vie quotidienne. Un bon siècle après l'arrivée des Arabes, les Mozarabes avaient déjà bien entamé leur acculturation à l'arabe, ne gardant le latin que comme langue liturgique. L'arabe était tellement en vogue qu'un groupe de chrétiens cordouans a commencé à rechercher le martyr pour dénoncer le glissement chrétien de la culture latine vers la culture arabe au milieu du IXème siècle. Ces Mozarabes étaient bien implantés dans les provinces andalouses juqu'à l'arrivée des Almoravides qui ont forcé leur exode massif vers les royaumes chrétiens du nord, lesquels ont recueilli un héritage plus important que dans les régions andalouses. Le rebelle Ibn Hafsun, à la fin du IXème siècle, avait rassemblé de nombreux mozarabes autour de sa lutte contre l'émirat de Cordoue, s'était lui-même converti au christianisme (au moins pour un temps) et avait fait construire une basilique dans son fief de Bobastro dans les Monts de Malaga (assez difficile d'accès et visitable seulement le matin ;). La réalité mozarabe ressemble donc à un vecteur culturel et religieux chrétien arabisant plus qu'à une création syncrétique entre les cultures arabe et latine. Après l'adoption de la liturgie romaine au XIIIème siècle, les Mozarabes ont permis de conserver l'ancienne liturgie wisigothique, qui aurait disparu sans leur particularisme. La cathédrale de Tolède propose encore de nos jours des liturgies mozarabes à certaines heures de la journée.

Mudéjar désigne, à l'opposé, le musulman pratiquant librement sa religion sous la domination chrétienne. L'art mudéjar, spécifique à l'architecture ibérique, provient ainsi des architectes et artisans musulmans employés par les souverains chrétiens pour construire leurs palais et autres monuments. De nombreuses églises espagnoles, en particulier en Andalousie, sont d'anciennes mosquées converties en églises et présentent donc des traits architecturaux d'origine musulmane, notamment le toit et le clocher. Cette architecture hispano-mauresque est considérée par de nombreux spécialistes comme l'expression artistique véritablement espagnole, dans la mesure où elle accomplit une synthèse artistique originale à partir d'influences extérieures. On retrouve ainsi une parenté évidente non seulement entre l'architecture espagnole et maghrébine, mais aussi avec l'architecture coloniale d'Amérique latine. Un colloque régulier à Teruel est consacré au thème du "mudéjar".

"Mozarabe" et "mudéjar" recouvrent des spécificités ibériques qui ont grandement participé à l'originalité de l'identité espagnole. Toute la question est de savoir comment ces empreintes ont contribué à façonner cette identité. Faut-il les considérer comme des aspects, des marqueurs ou des composants essentiels de l'identité espagnole (à supposer qu'elle soit homogène) ? Question difficile! Question encore plus difficile: dans quelle mesure ces aspects indiquent-ils encore l'identité espagnole à l'époque contemporaine? La réalité mozarabe est circonscrite au Moyen Âge (et est un gage de l'ancienneté des familles à Tolède...). Mais le mudéjar reste toujours le témoignage majeur de ce que l'histoire interculturelle de l'Espagne a produit comme prisme identitaire, en deçà des influences de la culture européenne.


La Plaza de España à Séville







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