vendredi 1 novembre 2013

Poésie d'Ibn Zaydun

Au XIème siècle Ibn Zaydun était un poète courtisan qui vécut une histoire d'amour avec Wallada, la fille du calife al-Mustakfi (qui fut chassé du pouvoir) et elle-même poétesse. Leur séparation fit autant de bruit que leur passion. Voici un large extrait de la production d'Ibn Zaydun (traduction Brigitte Foulon dans Al-Andalus. Anthologie, GF, 2009, pp. 219-222)



A Madinat al-Zahra


" (...)

Au temps de l'intimité a succédé celui de l'éloignement, et la complicité a cédé la place à la dureté.
Puisque le matin de la séparation est arrivé, il vaudrait mieux que la mort nous rende visite, et que son héraut vienne nous annoncer un sort funeste.
Qui donc ira porter la nouvelle à ceux qui, en nous quittant, nous ont revêtus d'une tunique d'affliction qui nous aura usés avant d'être râpée,
Et leur dira que le temps qui, lorsque nous vivions dans la chaleur de leur intimité, nous égayait, nous fait à présent pleurer?
Nos ennemis ont pris ombrage de l'amour réciproque auquel nous nous abreuvions; ils ont formé des voeux pour que nous suffoquions, et le destin a dit: "Amen!"
Alors, les liens que nos âmes avaient noués se sont dissous, et les attaches qui tenaient nos mains unies se sont rompues,
Jadis, toute crainte de la séparation était bannie, mais, à présent, tout espoir de rencontre est perdu.
(...)
Nous pensions trouver la consolation dans le désespoir; nous voici désespérés: qu'a donc le désespoir à attiser encore davantage notre désir?

La nostalgie, à al-Zahra, ressuscite ton souvenir, sous un ciel clair et limpide, et devant le spectacle réjouissant offert par la terre.
La brise, au crépuscule, se fait si légère qu'il me semble qu'elle s'attendrit sur mon sort, et que, par compassion, elle s'adoucit plus encore.
Et le jardin sourit de toutes ses eaux d'argent, ruisseaux tels des colliers à un buste arrachés.
Je me laisse distraire par le spectacle captivant des fleurs qui, ployant sous le poids de la rosée, inclinent leur cou.
Me voyant incapable de trouver le repos, on dirait qu'elles pleurent sur mon sort, et que leurs yeux se remplissent de larmes brillantes.
Des rosées resplendissantes, plantées en plein soleil, confèrent à cette matinée plus d'éclat encore;
Elles rivalisent avec des nénuphars parfumés; ils étaient assoupis, voilà que l'aurore les a réveillés, et qu'ils ouvrent les yeux.
Tout ce que je vois et sens ravive en moi des souvenirs qui exacerbent mon désir de te retrouver, et me serrent le coeur.
Dieu ne saurait consentir à apaiser un coeur rebelle à ton souvenir, un coeur qui aurait renoncé à prendre son envol, palpitant, sur les ailes du désir.
Si la brise matinale acceptait de m'emporter dans son sillage, elle te livrerait un garçon laminé par les épreuves traversées.
Cette journée ressemble à celles que, jadis, nous vécûmes ensemble: à jamais révolues, elles ne furent que de fugaces instants de plaisir dérobés à un destin un moment assoupi.
(...)
Mais, aujourd'hui, tu t'es consolée de moi, tandis que moi, je suis toujours épris, et bien mieux que je ne l'étais du temps de notre union.

L'amour, que j'avais oublié, s'est rappelé à moi, et, consolé, mon coeur s'est ouvert de nouveau au désir.
Il brûle pour une jeune beauté, statue d'argent couronnée d'or.
Candide, enfantine, ses regards langoureux et indolents séduisent les esprits.
Voici que, grâce à la passion que j'éprouve pour elle, s'ouvre à moi une ère nouvelle, qui me fera oublier le passé.
Elle sera le sceau de mes amours, car son amour m'a fait troquer l'idolâtrie contre la vraie foi."

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