samedi 16 novembre 2013

Opinions sur le thème de la convivencia




Santa Maria la Blanca à Tolède

L'un des symboles forts de l'Andalousie médiévale est la convivencia, la convivance ou coexistence pacifique entre les trois religions monothéistes. Certaines villes-symboles comme Tolède ou Cordoue condensent toute la nostalgie et le refoulement qu'occasionnent nos incapacités contemporaines à faire coexister des communautés aux croyances divergentes. Là-dessus, le tourisme occidental caricature la notion pour lui donner un potentiel marketing. D'où la question: comment doit-on la comprendre? Pas de réponse, seulement des pistes.
La convivencia est l'un des fantasmes les plus puissants qui baignent la représentation contemporaine du passé médiéval de l'Espagne. Les circuits touristiques y remettent une triple couche, les publications grand public et les acteurs du tourisme font tout pour encourager cette vision idyllique. Les documentaires de vulgarisation caricaturent presque tous également la fracture entre un christianisme barbare obscurantiste et un islam forcément lumineux. Pourtant, les historiens spécialistes d'Al-Andalus, à commencer par Pierre Guichard, insistent depuis de nombreuses années sur la partialité de ce fantasme occidental, voire oriental. La convivencia a bien existé mais elle n'a duré que peu de temps. A partir de l'invasion des Almoravides et plus encore avec les Almohades, l'intolérance était de mise. Les chrétiens mozarabes, qui n'étaient pas toujours les champions de la tolérance, ont dû se convertir ou s'exiler dans les royaumes chrétiens du nord de la Péninsule. A Tolède et en Castille, la tolérance a bien existé mais pas très longtemps non plus.

On voit aujourd'hui réapparaître de nombreuses formes d'intolérance partout dans le monde, à commencer par l'Europe et la France, à cause des effets conjugués de la crise économique et financière, de la faiblesse des Etats à servir leurs peuples, à encadrer les flux... et de modes de vie qui voilent de plus en plus les valeurs dont une personne a besoin pour devenir personne. A l'inverse, le thème de la convivencia andalusi est de plus en plus populaire. Alors, paradoxe ou grande logique?

Tolède, Cordoue, Grenade, Séville. Des villes-symboles pour lesquelles la convivencia représente plus qu'une composante: elle s'apparente à une sorte de vocation. Le secteur du tourisme encourage la diffusion de  cette représentation qui, en plus d'une vertu éthique, possède une réelle vertu marketing.

Devant ce spectacle mi-rassurant mi-affligeant, il me semble de la responsabilité de chacun(e) de mener une recherche intellectuelle et morale personnelle. Après avoir mis à distance tous nos préjugés contemporains sur la religion, la sociologie et la politique, l'objet est de se demander ce que signifie la paix et comment la réaliser. Il est aussi de se demander si cet effort ne passe pas d'abord par une intégration intelligente dans sa propre communauté, au lieu d'en appeler à des institutions abstraites et sans coeur. La convivencia ressort à la fois d'une ouverture politique, morale et spirituelle. Elle se trouve le long d'un chemin propre à chaque religion et sensibilité spirituelle. Le politique pose un cadre nécessaire mais il ne saurait suffire; chaque religion doit savoir se régénérer pour s'engager sur le chemin de paix. D'où le besoin profond de ne pas réduire la religion à ses formes extérieures.Chaque religion ressort d'une longue tradition spirituelle, avec ses forces et ses faiblesses, qui contient de grands trésors.

La convivencia andalouse se nourrissait d'un enchevêtrement culturel de la société ibérique de l'époque. Le judaïsme était ancien, le christianisme bien implanté et l'islam eut la capacité de s'adapter à ce tissu socio-culturel. La convivencia s'est nourrie d'emprunts et de transferts culturels entre communautés religieuses, si bien que, progressivement, l'Andalousie a généré une seule culture andalusi commune déclinée en trois voies religieuses différentes. Bref la convivencia ne saurait résulter d'une construction abstraite et extérieure aux personnes et communautés. Elle est un projet fait de bonne volonté et de prudence qui vise à s'ouvrir à l'autre pour se trouver soi-même. Un chantier immense!

Le logo du festival des trois cultures à Frigiliana, Axarquia, province de Malaga: la convivencia est-elle vraiment le produit d'un bricolage syncrétique entre les religions?

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